Les relations germano-espagnoles de 1936 à 1940

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Les relations germano-espagnoles de 1936 à 1940

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[Ci-dessous Johannes Bernhardt, l'homme qui servit d'intermédiaire entre Hitler et Franco. Le résultat de ses bons offices, ce fut la livraison de matériels, dont des avions de transport et des bombardiers : ci-dessus des éléments de la « Légion Condor » s'affairent autour d'un Heinkel 111, dont les prestations allaient contribuer à la victoire franquiste de manière non négligeable.]
Il est un chapitre peu connu de l'histoire européenne de ce siècle : celui des relations germano-espagnoles de 1930 à 1945. L'histo­rien Matthias Ruiz Holst vient de combler, en quelque sorte, une lacune de l'histoire contemporaine en faisant paraître un ouvra­ge concis, didactique, clair, bien formulé sur cette question cruciale, qui, parallèlement, met en exergue bon nombre de caractéristi­ques des régimes national-socialiste et fran­quiste.

Franco fait appel aux Allemands

Johannes-BernhardtLa République espagnole (1931-1939) avait établi des relations commerciales suivies tant avec la République de Weimar qu'avec l'Allemagne de Hitler. Les relations entre les 2 pays étaient donc des plus banales. Tout change dès qu'éclate la guerre civile : les troupes de Franco, principalement mas­sées au Maroc, doivent trouver les moyens de franchir le Détroit de Gibraltar, pour ap­puyer les rebelles anti-républicains de la Pé­ninsule. Ceux-ci, au départ, n'avaient guère enregistré de succès. Un simple coup d'œil sur la carte permettait de voir que les Ré­publicains étaient restés maîtres des villes principales (Madrid, Barcelone, Valence et Bilbao). Franco envoie aussitôt une déléga­tion à Rome pour demander l'appui de Mus­solini, ainsi qu'un capitaine Arranz à Berlin, accompagné d'un intermédiaire allemand, Jo­hannes Bernhardt. La mission des 2 hom­mes consistait essentiellement à demander la livraison d'avions, capables de faire passer les troupes du Maroc en Andalousie. Appa­remment sans consulter personne, ni les ins­tances du parti ni les diplomates profession­nels, Hitler accepte la proposition de Fran­co.

Pour Holst, cette décision rapide indiquerait que Hitler, en se conciliant Franco, tenait compte d'un projet géo-stratégique à long terme qu'il concoctait depuis longtemps. En effet, en se créant un allié à l'Ouest, il bouleversait tout l'équilibre ouest-européen ; le gouvernement républicain francophile se­rait remplacé par un gouvernement hostile à la France, empêchant du même coup que ne se constitue un bloc franco-hispanique allié à l'Union Soviétique. En brisant la cohésion de l'Ouest latin, Hitler pouvait, pense Holst à la suite de l'historien espagnol Ángel Viñas, réa­liser par les armes et par l'économie son plan de création d'un espace vital dans l'Est européen, sans risquer une guerre sur 2 fronts.
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[La situation du front en juillet 1936 (à g.) et en juillet 1938 (à d.). Après la conquête de la Catalogne, et la chute de Barcelone, Franco tiendra définitivement la victoire. L'Espagne cesse d'être un atout pour la France qui, ipso facto, se retrouve coincée entre une Allemagne puissante et une Espagne affaiblie mais favorable à sa protectrice germanique. L'équilibre européen de Versailles est rompu, d'autant plus que Hitler réalise l'Anschluß et annexe le territoire des Sudètes.]
odessa10.jpg[Si l'ltalie et l'Allemagne arment Franco, la France du Front Populaire et l'URSS arment les Républicains. Ci-contre un navire russe, dont le port d'attache est Odessa, arrive à Barcelone sous les acclamations d'une foule nombreuse, massée sur les quais. Après la victoire franquiste, Staline changera en quelque sorte son fusil d'épaule et préférera s'allier à Hitler. En août, le pacte germano-soviétique est signé à Moscou entre Molotov et Ribbentrop. Les religionnaires communistes et les occidentalistes connaissent un désarroi majeur. Franco, qui assied son régime sur l'anti-communisme et est débiteur de l'Allemagne, ne sait plus sur quel pied danser. L'arrière-plan de l'alliance entre Hitler et Staline demeure obscur. La plupart des historiens contemporains n’y voient qu'une alliance purement tactique et négligent l'étude des différentes forces divergentes qui animaient encore les sociétés russe et allemande, malgré la dictature. C'est sur base d'une telle analyse que l'on découvrira sans doute, un jour, la clef de l'énigme.]

Isoler la France

Grâce à la nouvelle configuration géostraté­gique que l'aventure franquiste permettait d'envisager, l'Allemagne n'était plus coincée entre une France rouge, alliée à une Es­pagne sociale-démocrate, et une URSS qui avançait aussi ses pions en Tchécoslovaquie. En revanche, si Franco réussissait son coup avec l'appui germano-Italien, ce serait la France du Front Populaire qui serait coincée entre une Allemagne industriellement forte et socialement stabilisée et une Espagne al­liée au Reich et économiquement complé­mentaire de la machine industrielle tudes­que. D'autant plus qu'au Nord, Léopold III s'apprêtait à dénoncer les accords militaires franco-belges et à opter pour une neutralité stricte.

Prudents, Hitler et Mussolini ne reconnais­sent les “nationaux” comme gouvernants de l'Espagne que le 18 novembre 1936. Le pre­mier ambassadeur allemand dans l'Espagne nationale fut le Général von Faupel, préféré d’Hitler et du parti. L'objectif de von Fau­pel, c'était de mettre sur pied un État es­pagnol calqué sur l'appareil “social-révolu­tionnaire” allemand ; von Faupel favorisera ainsi les éléments les plus “gauchistes” de la Phalange, organisation complètement dislo­quée après la mort de son leader José Anto­nio. L'ambassadeur allemand favorisera Manuel Hedilla que Franco fera condamner à mort. Avec la chute du prolétarien social-justicia­liste Hedilla, nous constatons un premier cli­vage, insurmontable, entre Allemands et Es­pagnols : Franco ne veut pas d'une révolution sociale et demande à Hitler que von Faupel soit évincé.

Créer le chaos en Méditerranée occidentale

Après l'incident Hedilla-Faupel, la Grande-­Bretagne conservatrice se rapproche de Franco, heureux de pouvoir contre-balancer ainsi l'influence allemande, de plus en plus forte. Franco peut ainsi jouer sur 2 ta­bleaux et marchander les compensations de­mandées par le Reich pour sa contribution militaire à la guerre civile. Après Munich, qui constitue incontestablement un succès de la diplomatie hitlérienne, Franco se rappro­che une nouvelle fois de l'Allemagne, en passe de devenir maîtresse du centre du continent, sans renoncer aux acquis de ses rapprochements avec les démocraties occi­dentales.

Au début de l'année 1939, les rela­tions germano-espagnoles sont positives, dans un environnement international de plus en plus complexe. La victoire finale des natio­naux ne faisant plus aucun doute, quelques esprits machiavéliens, à Berlin, en viennent à souhaiter un pourrissement de la situation et une prolongation de la guerre civile es­pagnole. En effet, si la guerre durait long­temps, le Reich pouvait gagner du temps : Anglais et Italiens se seraient affrontés en Méditerranée pour le contrôle des Baléares ; Italiens et Français se seraient retrouvés à couteaux tirés pour la Tunisie, etc. Pendant ce temps, les Allemands auraient eu les mains libres pour réaliser l'Anschluß et rè­gler le problème de la Tchécosolovaquie. De plus, les Britanniques, aux prises avec les Italiens, auraient cherché à se ménager les bonnes grâces de Berlin et, du coup, la France, trop faible, n'aurait pas pu s'atta­quer seule à l'Allemagne.

L'Espagne : un allié de l'Axe très affaibli

Quand, le 1er avril 1939, la guerre civile es­pagnole prend fin avec la victoire des fran­quistes, l'Espagne est exsangue, son potentiel industriel est réduit à rien et, à cause d'une destruction systématique des moyens de transport, le ravitaillement de la population connaît une situation catastrophique. Alle­mands et Italiens s'aperçoivent qu'ils se sont donné un allié dans le sud-ouest européen mais que cet allié est si affaibli qu'ils se­ront obligés de subvenir partiellement à ses besoins, s'ils veulent faire valoir à leur pro­fit les atouts géostratégiques de sa configu­ration péninsulaire.
En cas de conflit entre l'Axe Rome-Berlin et l'Entente Paris-Londres, l'Espagne représente un ensemble de bases potentielles, importantes pour la mai­maîtrise de la Méditerranée occidentale et de l'Atlantique. Le souci de Berlin, dans les 6 premiers mois de 1939, c'est de renforcer le potentiel militaire espagnol, sans que la Wehrmacht n'ait à en souffrir et sans que Franco ne doive s'adresser aux puissances de l'Entente. Résultat : l'Espagne conserve un statut de stricte neutralité, qu'elle envisage de garder pendant 5 années, tout en si­gnant des accords avec le Reich.

Pour l'Italie : un accès à l'Atlantique ; pour l'Espagne : une nouvelle « dimension impériale »

Afin de ne pas laisser à l'Axe l'exclusivité d'un partnership privilégié avec l'Espagne, l'Angleterre et la France assouplissent leurs positions et nomment Peterson et le Maré­chal Pétain, personnalités non contestées par les Espagnols, aux postes d'ambassadeurs à Madrid. Les Espagnols germanophiles et fas­cisants, dont le Ministre de l'Intérieur Serrano Súñer, prônent une intensification des contacts avec Rome et Berlin, afin de faire pression sur la France pour qu'elle cède en Afrique du Nord les territoires convoités par l'Espagne. Avec les Baléares comme bases, une alliance hispano-italo-allemande pourrait couper la France de l'Algérie, affirmait, menaçant, un ambassadeur espagnol en Tur­quie.

Conscients de la menace, les Anglais, par l'intermédiaire de Lloyd George, arguent que l'Espagne, de par sa position géogra­phique, ne peut entièrement se désolidariser de la thalassocratie britannique, surtout quand son ravitaillement demeure précaire. Súñer, lui, ne désarme pas et suggère à Mussolini une « réorganisation de l'espace ouest-méditerranéen » : le Maroc tomberait entièrement sous la coupe des Espagnols, tandis que l'Algérie et la Tunisie entreraient dans la sphère d'influence italienne ; ainsi, Espagnols et Italiens contrôleraient conjoin­tement le Détroit de Gibraltar et l'accès à l'Atlantique. L'intérêt italien, dans ses pro­jets et spéculations, c'était précisèment d'acquérir cet accès à l'Atlantique ; l'Espa­gne, quant à elle, souhaitait sortir de 3 siècles d'isolement et retrouver une “dimen­sion impériale”.

Franco désapprouve le pacte germano-soviétique mais refuse une alliance ouest-européenne anti-allemande

Après le coup de Prague, perpétré par Hit­ler, et l'invasion de l'Albanie par Mussolini, la situation en Europe devient terriblement instable, ce qui inquiète Franco, soucieux de ne se voir entraîner dans un conflit, alors que son pays panse encore les plaies affreu­ses de la guerre civile. Franco estime que l'Europe a besoin d'un minimum de 5 an­nées de paix et joint sa voix à celles de Léopold III, du Pape et de Mussolini qui de­mandent aux belligérants anglais, français, allemands et polonais la localisation du con­flit quand éclate la guerre, le 1er septembre 1939.

Les relations germano-espagnoles vont se rafraîchir considérablement à cause du Pacte germano-soviétique. L'anti-communis­me était devenu l'idéologie stabilisatrice du nouveau régime espagnol, arrivé au pouvoir avec l'aide allemande. Comment dès lors faire accepter, par l'opinion publique, l'al­liance entre Hitler et Staline ? Franco, par l'intermédiaire de son ambassadeur Magaz, laisse entendre sa réprobation et son inquié­tude de voir l'URSS s'étendre à l'ouest au détriment de la Pologne catholique.
La pres­se espagnole commente les dangers de l'ac­croissement du bolchévisme et adopte une attitude résolument pro-finlandaise quand Staline attaque la petite puissance nordique le 30 novembre 1939. Le tandem germano-­russe, aux possibles effrayants pour toute conscience occidentaliste et catholique, va servir d'épouvantail utile à la France et à l'Angleterre, qui suggèrent à Franco une “al­liance ouest-européenne”, suffisamment soli­de pour faire face à la “barbarie germanique et slave”. Français et Anglais s'apprêtaient à “blanchir” totalement Franco aux yeux de leurs opinions publiques respectives, de fa­çon, spéculaient-ils, à ce que l'Espagne puis­se opérer un retour brillant sur la scène in­ternationale. Franco, conscient du caractère intéressé de ces avances, restera toutefois sceptique et ne s'engagera pas.
Fin 1939, les relations germano-espagnoles sont donc au plus bas ; la France et l'An­gleterre tentent de reprendre pied en Es­pagne et Franco joue sur tous les tableaux pour améliorer le sort de son malheureux pays, tout en marquant sa réticence à l'é­gard du jeu de Ribbentrop et Molotov.

Revendications espagnoles en Afrique du Nord

À partir des premiers mois de 1940, l'Es­pagne tentera un rapprochement progressif avec l'Allemagne, Franco étant soulagé de voir que la coopération germano-soviétique s'était bornée à la Pologne, réglant du même coup la question du Corridor de Dantzig, et ne s'était pas étendue à la Finlande. L'I­talie agissait de même, resserrant encore davantage les liens qui l’unissaient à l'Alle­magne. Franco s'aperçoit que l'alliance ger­mano-russe n'a d'autre but que de permettre à la puissance allemande de se tourner vers l'Ouest et de ne pas ouvrir un front orien­tal. Cette volonté apparente d'en découdre avec la France incite les Espagnols et les Italiens à réitérer leurs revendications sur le Maroc, la Corse, la Tunisie et l'Algérie.

Du côté allemand, les avances espagnoles sont ignorées : Goering refuse de livrer un matériel précieux dont a besoin l'Allemagne, pas encore prête militairement à affronter Anglais et Français. Les Allemands avaient mal pris les réticences de Franco à l'égard du Pacte Ribbentrop-Molotov. L'Espagne, par le truchement d'un mémorandum secret transmis à l'Ambassadeur allemand en poste à Madrid, essaie la surenchère en laissant sous-entendre que si l'Italie entrait en guer­re aux côtés du Reich, les Alliés ne man­queraient pas d'occuper Tanger, d'élargir la zone entourant Gibraltar et de s'emparer des Baléares. L'Espagne serait ainsi bon gré mal gré jetée dans le camp de l'Axe. Donc, pour empêcher Français et Anglais de se rendre maîtres de la Méditerranée occiden­tale, les Allemands doivent livrer du maté­riel de guerre à l'Espagne et réviser leurs positions.

De la neutralité à la « non-belligérance » ; occupation de Tanger

L'occupation du Danemark et la campagne de Norvège, en avril 1940, met un terme aux démarches espagnoles ; puis, avec la campagne de France, les Allemands attei­gnent les Pyrénées, créant un fait nouveau : une liaison terrestre directe entre l'Espagne et l'Allemagne. Mais Goering ne change pas d'avis : la position “trop neutre” (überneutral) de l'Espagne ne permet pas d'envisager la livraison d'un matériel dont les armées alle­mandes, spécialement la Luftwaffe, ont un besoin pressant. Qui plus est, l'intention des Allemands, après l'effondrement de la Fran­ce, était de pactiser avec les Anglais, donc de mettre la question de Gibraltar au frigo.
Les Espagnols, eux, cherchent surtout à combler le vide laissé par la France en Afrique du Nord mais l'état de leur armée et la vétusté de leurs matériels ne permet pas un coup de main définitif. Pour faire fléchir les Allemands, les Espagnols abandon­nent leur statut de neutralité pour adopter celui, hybride, de “non-belligérance” ; aussi­tôt, des unités espagnoles occupent la zone internationale de Tanger, au moment où les troupes allemandes pénètrent dans Paris. Hitler se félicite de cette initiative espa­gnole et incite Vigón et Franco à s'emparer de Gibraltar de la même façon, modifiant de la sorte sa volonté préalable de ménager les Anglais.

Le dilemme : parier sur l'Espagne ou ménager la France de Vichy

Mais satisfaire les ambitions espagnoles comportait des risques énormes, notamment celui de devoir venir en aide à l'Espagne mal armée en cas de riposte anglaise. Si l'Espagne souhaite occuper Gibraltar, elle doit le faire seule, sans appui allemand. D'autant plus que l'Allemagne renonce à oc­cuper totalement la France, afin d'empêcher que la flotte française ne passe aux Anglais et qu'un gouvernement français ne s'installe en Algérie pour poursuivre la guerre. Hitler choisit donc la conciliation avec la France, ce qui déçoit et contrarie Ciano, même si celui-ci perçoit chez le dictateur allemand une certaine duplicité : vouloir ménager pro­visoirement la France pour pouvoir pactiser avec l'Angleterre et, éventuellement, s'en­tendre avec elle sur le dos de la France.

Pour l'Espagne, l'armistice signé par Pétain constitue un obstacle à ses visées nord-afri­caines. En effet, si la France avait continué la guerre et déménagé son Parlement en Al­gérie, l'Espagne aurait constitué une zone de transit pour les armées germaniques et Tan­ger une excellente tête de pont pour l'Axe, cette fois augmenté de l'Espagne. Dans les milieux germanophiles espagnols, on parlait déjà de soulever les tribus marocaines hosti­les à la France, de réveiller les souvenirs de la Guerre du Rif, afin de faciliter la main­mise hispano-germanique sur le Maroc et préparer l'invasion et le dépeçage de l'Algé­rie. Ces projets n'ont jamais vu le jour, par­ce que l'Allemagne n'était pas en mesure de livrer du matériel à l'Espagne, ne le souhai­tait pas vraiment et espérait un armistice avec l'Angleterre qui, elle aussi, avait des intérêts en Méditerranée qu'il ne fallait pas contrarier.

En juillet 1940 : liquider l'Angleterre ou ouvrir la guerre à l'Est ?

Au début du mois de juillet 1990, Hitler es­pérait encore que l'Angleterre allait accep­ter ses propositions de paix. Mais, 2 se­maines plus tard, il dut se rendre à l'évi­dence : Londres était décidée à continuer la guerre et pariait sans nul doute sur un ren­versement de l'alliance germano-russe et/ou sur une entrée en guerre des États-Unis. Hitler, dit Holst, voulait alors mettre son projet de guerre à l'Est immédiatement à exécution et s'emparer des matières premiè­res russes. Une rapide victoire à l'Est au­rait, pensait Hitler, contraint les Anglais à accepter les propositions allemandes, avant que les États-Unis ne soient prêts à entrer en guerre.

Avec Jodl, Hitler se décide finalement à poursuivre la guerre contre l'Angleterre en attaquant directement les Îles Britanniques, d'abord par une offensive aérienne, prépara­trice d'un débarquement. Parallèlement à cette attaque directe, l'Axe devait déployer une stratégie “périphérique”, consistant à ex­clure les Anglais de la Méditerranée, en bloquant Suez et Gibraltar et en coupant la route du Moyen-Orient. Cette perspective impliquait la constitution d'un “bloc conti­nental”, dont l'objectif serait de ramener la thalassocratie britannique à la raison et d'empêcher toute velléité américaine d'inter­vention dans les affaires du Vieux Monde.

Le 27 septembre, Allemands, Italiens et Ja­ponais signent un Pacte Tripartite allant dans ce sens, Pacte auquel est également conviée l'Union Soviétique. La stratégie alle­mande s'était donc radicalement transformée au cours de l'été 1940 : en juillet, on envisa­geait un coup contre la Russie et en sep­tembre, on réitérait le projet d'alliance con­tinentale dirigée contre les puissances mari­times. L'Allemagne oscillait entre 2 solu­tions : 1) abattre l'URSS pour s'emparer de ses matières premières et ne plus dépendre des livraisons russes et 2) forger un bloc continental, impliquant la libération de la Méditerranée de la présence anglaise et verrouillant l'Europe et l'Afrique du Nord à l'encontre de tout interventionnisme améri­cain.

Création d'un “bloc continental” et éviction des Anglais

En septembre, c'est indubitablement la se­conde solution qui prime et, automatique­ment, l'Espagne acquiert, dans ce jeu, une place prépondérante. Le “bloc continental” doit présenter aux thalassocraties anglaise et américaine une façade s'étendant du Cap Nord au Maroc. Des agents de l'Abwehr de Canaris se rendent en Espagne, accompagnés de militaires détachés auprès de Vigón, chef de l'État-major espagnol. Objectif : étudier les possibilités de s'emparer de Gibraltar et préparer l'entrée de l'Espagne dans la guerre et ce, dans les conditions optimales.

Mais la situation de l'Espagne est tellement précaire que l'Allemagne ne peut prendre en mains ni la machine militaire espagnole ni le ravitail­lement de la population. De plus, un aligne­ment de l'Espagne sur l'Axe impliquerait im­médiatement une attaque anglaise contre les Canaries, les Baléares, le Portugal ou le Maroc espagnol, à laquelle l'Espagne n'était en mesure de faire face. L'Allemagne ne pouvait pas prendre le risque d'épauler son allié ouest-méditerranéen dans de telles conditions.

Hitler et Franco à Hendaye

D'autres considérations bloquent le projet d'alliance germano-espagnol : l'attitude fon­cièrement anti-française des Espagnols risque de faire basculer les Français d'Afrique du Nord dans le camp anglo-gaulliste et de ré­duire à néant la collaboration avec Vichy. Pour les Allemands, incapables de contrôler seuls le territoire métropolitain français sans l'aide du gouvernement de Vichy, il était important que les colonies d'Afrique du Nord restent fidèles au Maréchal Pétain. Le 4 oc­tobre, Hitler fait part à Mussolini de ses in­tentions de ménager à la fois Espagnols et Français et demande au Duce de l'aider à calmer et limiter les revendications espagno­les.
C'est avec ce plan de conciliation en tête qu’Hitler se rend à Hendaye pour y rencontrer Franco. Hitler voulait que Franco se rende compte que la France n'était pas encore totalement hors jeu et que, pour l'instant, vu la faiblesse relative de l'Alle­magne, qui ne pouvait se permettre de con­trôler à la fois le territoire métropolitain français et les colonies d'Afrique du Nord après conquête militaire, il était impossible de promettre officiellement à l'Espagne, elle aussi trop faible, d'élargir sa souveraineté à l'Oranie algérienne et au Maroc. Franco de­vait comprendre qu'il fallait éviter à tout prix que la France de Vichy ne tombe entiè­rement dans le camp anglo-gaulliste.
À Hendaye, Franco demandera avec insistan­ce la garantie allemande pour ses projets d'expansion en Afrique du Nord. Hitler ne pouvant lui concéder une telle garantie, Franco refusa l'entrée en guerre de l'Espa­gne. Le mois suivant, en novembre, Hitler était davantage prêt à céder aux Espagnols, car les revers italiens en Grèce faisaient craindre une intervention plus musclée des Britanniques en Méditerranée, ce qui ren­dait nécessaire le verrouillage de Gibraltar, action ne pouvant se concrétiser qu'avec la complicité espagnole. Le 7 décembre, finale­ment, après avoir dressé le bilan de ses maigres forces et malgré les garanties alle­mandes, Franco refusera définitivement l'en­trée en guerre de son pays aux côtés de l'Axe.

Le livre de M. R. Holst nous retra­ce en détail les péripéties des relations ger­mano-espagnoles de 1936 à décembre 1940. La suite des événements ne concerne pas son mémoire. Pour la connaître en détail, le lecteur se référera à un autre travail, tout aussi méticuleux : celui de Klaus-Jörg Ruhl (Spanien im Zweiten Weltkrieg : Franco, die Falange und das “Dritte Reich”, Hoffman & Campe, Hamburg, 1975). Ruhl retrace toutes les tentatives de faire basculer l'Espagne dans le camp de l'Axe, au besoin par un putsch contre Franco de Muñoz Grandes, commandeur de la Division Azul combattant sur le Front de Leningrad. Un chapitre est également consacré à la chute de Serrano Súñer le Ministre de Franco le plus favora­ble à l'Axe.

Échec du bloc continental

Les projets de collaboration suggérés par les nationaux espagnols en 1940, avec le plan audacieux d'une réorganisation du bassin oc­cidental de la Méditerranée, aurait sans doute permis de contrer te débarquement al­lié de novembre 1942 en Afrique du Nord, si Espagnols, Italiens, Marocains et français de Vichy étaient parvenus à s'accorder et à s'organiser militairement de façon satisfai­sante, sans aucune aide du Reich qui, de toute façon, n'aurait pu participer à la dé­fense du front atlantique ibéro-marocain de manière satisfaisante. Reste le facteur rus­se : la réalisation du bloc continental, envisa­gé de juillet à novembre 1940 par Berlin, n'aurait pu se concrétiser qu'avec la compli­cité soviétique, l’ouverture d'un second front exigeant trop d'efforts de la part de l'Alle­magne.

Les méfiances réciproques entre na­tionalismes européens (celles qui troublaient les relations entre Français et Espagnols, la méfiance de Franco à l'égard de la compli­cité Hitler/Staline, l'hostilité de Ciano à l'encontre de la France, la phobie anti-russe de Hitler) n'ont permis que des actions par­tielles, concoctées et menées à la hâte, sans que ne soient réellement pris en compte les intérêts globaux du continent. Hitler ne vo­yait d'avenir qu'à l'Est, quand l'Ukraine se­rait sous domination allemande et négligeait la Méditerranée, façade défensive contre les thalassocraties, et l'Afrique du Nord, glacis indispensable pour l'Europe unifiée. C'est le reproche que lui adressait Mussolini peu avant sa mort tragique, lors d'une con­versation privée avec Victor Barthélémy, adjoint de Doriot...

♦ Matthias Ruiz HOLST, Neutralität oder Kriegsbeteiligung ? Die deutsch-spanischen Verhandlungen im Jahre 1940, Centaurus ­Verlagsgesellschaft, Ptaffenweiler, 1986, 231 p.
► article publié sous le pseudonyme de "Luc Nannens", in Vouloir n°43/44, 1987.

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