José Streel (1911-1946)


Archives 1991

STREEL, José  1911-1946

Né en 1911 à Liège, José Streel, issu d'un milieu catholique ouvrier, docteur en philosophie et lettres de l'Université de sa ville natale (avec un mémoire sur Péguy en philologie romane et un mémoire sur Bergson en philosophie), deviendra le principal idéologue du mouvement rexiste de Léon Degrelle. Dans son œuvre d'un seul livre, La révolution du XXième siècle,  on aperçoit très distinctement l'influence de Barrès, Péguy, Léon Bloy, Maurras, De Man, etc. 

Président de la Fédération liégeoise de la Jeunesse estudiantine chrétienne, il publie, en 1932, un premier essai, Les jeunes gens et la politique. Dans le cadre de ses activités militantes catholiques, il rencontre Léon Degrelle et collabore à ses divers organes de presse. Mobilisé dans l'armée belge en 1939-40, il participe à la campagne de mai 1940, est interné dans un camp de prisonnier en Allemagne mais revient en août pour occuper le poste de rédacteur en chef du quotidien de Degrelle, Le Pays réel,  qui s'engage rapidement dans la collaboration germanophile. Streel n'était pas un ultra de cette politique pro-allemande: il voulait conserver le cadre de l'Etat belge intact, monarchie comprise, et refusait l'inféodation complète de la Flandre et de la Wallonie au Reich. 

Streel participe aux négociations entre collaborationnistes flamands et wallons pour régler le problème linguistique belge (les accords Rex-VNV). Fin 1942, son projet politique modéré échoue devant la pression d'éléments plus radicaux et, début 1943, Streel démissionne pour entrer dans la rédaction du quotidien bruxellois Le Soir,  non inféodé à un parti collaborationniste. Arrêté en 1945, Streel est jugé, condamné à mort et exécuté à Bruxelles le 21 février 1946, malgré l'appel à la clémence signé par d'éminentes personnalités comme le communiste Fernand Demany, le socialiste Camille Huysmans, le philosophe Marcel Decorte, l'écrivain François Mauriac et le témoignage en sa faveur de Madame Spaak. Streel fut toujours honnête homme, modéré, fidèle à ses idées: son jugement, prononcé dans une atmosphère d'hystérie, puis son exécution précipitée, rétrospectivement, ont quelque chose d'effrayant. Dans une «Protestation», rédigée quelques heures avant son exécution, Streel, maître de ses émotions, dresse la liste des responsables de son assassinat politique et ajoute: «Ces hommes répondront de leur acte devant le tribunal de Dieu. Pour ma part, je leur pardonne». 

La révolution du XXième siècle,  1942

Rédigé sans notes et sans prétention, dans une langue impeccable, avec un souci didactique et beaucoup de sobriété, La révolution du XXième siècle  part d'un constat: le libéralisme individualiste et capitaliste a échoué parce qu'il était injuste. Il devra être remplacé par un système à la fois autoritaire et populaire, plus moral parce que non axé sur le profit. Avec l'effondrement du libéralisme, pense Streel, l'humanité revient «sur les traces du réel». Ce retour au réel est porté par les diverses formules de fascisme qui ont fait irruption sur les scènes politiques européennes après les carnages de 1914-18. Cette «révolution du XXième siècle» postule une adéquation permanente à la réalité, aux lois de la vie. Les sociétés doivent s'adapter continuellement aux climats historiques qui se succèdent. La révolution du XXième siècle de Streel répond, dans le camp des fascismes, à cette exigence de révolution permanente qu'à gauche les trotskysmes, les maoïsmes et les anarchismes avaient théorisée. Cette révolution permanente est «toujours inquiète de s'attacher à la vie et aux nécessités qu'elle entraîne»; elle est difficile à définir car «dès l'instant qu'elle se laisserait enfermer dans les limites d'une formule, elle se détacherait de la vie et ne tarderait pas à s'engourdir». L'ère des dogmes et des principes immortels est révolue: on ne peut plus percevoir que des tendances  de l'esprit et de la volonté. 

Sur le plan politique, cette expression fasciste de l'effervescence inépuisable du réel ne se fige jamais dans des institutions définitives et immuables et absorbe les éléments positifs des autres idéologies non libérales: du pacifisme, elle reprend le sens de la solidarité entre les peuples et, du socialisme marxiste, l'armature syndicale, la conscience collective, les habitudes de discipline corporative du monde ouvrier. La révolution du XXième siècle opère un travail de recomposition avec, pour base, les éléments substantiels de toute physique sociale (famille, propriété, respect des lois, des contrats, etc.), les sentiments nationaux et/ou régionaux, la psychologie positive du socialisme, etc. qu'elle allie à son ciment propre: «la morale communautaire, virile et audacieuse». Cette souplesse et cette hétérogénéité harmonique sont le radical contraire des «systèmes préconçus» (le «constructivisme» dirait Hayek); elles sont «faits de vie, avant d'être faits de conscience ou même d'intelligence». 

Libéralisme et démocratie parlementaire ont divisé les communautés humaines, fruits de la dynamique du réel; en ce sens, ils sont des «péchés contre le réel». Les intérêts particuliers ont accaparé l'Etat, suscitant non une adaptation permanente des institutions à la vie mais une guerre civile permanente, détachant du réel l'attention du monde politique. Celui-ci n'entretient dès lors plus de rapport fécond avec la réalité populaire. Il y a divorce entre le pays légal et le pays réel, pour reprendre l'expression de Maurras et Degrelle. Le parti unique, dans l'optique de Streel, y apporte remède, en mobilisant toutes les énergies populaires sans les disperser dans les querelles stériles des factions. L'homme, pour Streel, doit être inclus ou réinclus dans une communauté mais le libéralisme a disloqué tous les liens qui unissaient les hommes entre eux et généré une mentalité où dominent la frénésie acquisitive et la prudence bourgeoise. Les alluvions de cette dégénérescence doivent être épurés, écrit Streel: «il faut ramener au jour ce qui a été enseveli sous les apports modernes». Les valeurs substantielles, immuables sous cette couche d'alluvions libéraux/modernes, Streel les appelle «chrétiennes». Son ouvrage se termine par une définition du socialisme nouveau, intégrateur de bon nombre d'«éléments sains» du socialisme marxiste et porté par une «économie organisée». La révolution du XXième siècle, enfin, instaure le «fait européen». La communauté des peuples européens est devenue une réalité et les projets d'autarcie continentale sont véritablement révolutionnaires (et englobent l'Afrique). Ils dirigent les Européens vers un type de civilisation équilibré parce qu'il sera mi-agricole, mi-industriel. 
La révolution du XXième siècle,  selon son auteur lui-même, est un ouvrage schématique. Il n'empêche que sa rigueur simple et claire révèle la précision du philosophe dans l'utilisation des concepts. 
(Robert Steuckers).
- Bibliographie: L'art de Charles Péguy,  mémoire de licence en philologie romane, Université de Liège, 1933, non publié; L'esthétique chez Henri Bergson,  mémoire de licence en philosophie pure, Université de Liège, 1934, non publié; Les jeunes gens et la politique, 1932; La parole est aux bourgeois,  s.d.; Ce qu'il faut penser de Rex, s.d. (1936); Positions rexistes, 1936; M. Van Zeeland contre le régime parlementaire, 1937; La révolution du XXième siècle,  1942; Le drame du XVIième siècle et la question d'Occident, manuscrit inachevé et non publié, rédigé en 1943-44.
- Sur José Streel: Jean-Marie Delaunois, Vie et combat de José Streel (1911-1946), journaliste et écrivain politique, mémoire réalisé sous la direction de Mme M. Libon, présenté en vue de l'obtention du grade de licencié en Histoire, Université Catholique de Louvain, Faculté de Philosophie et Lettres, 1990; cf. Léon Van Huffel, «La révolution du XXième siècle de José Streel», in Courrier de l'Ouest, 15 avril 1942, n°2, pp. 23-24 (les arguments qu'adresse l'aile germanophile du parti rexiste à J. Streel: la «révolution du XXième siècle», pour Van Huffel, est le produit de la révolution intellectuelle des Gobineau, Chamberlain, Nietzsche et Vacher de Lapouge et non une simple adaptation des institutions politiques au réel); Martin Conway, «Le rexisme de 1940 à 1944: Degrelle et les autres» in Cahiers/Bijdragen du Centre de Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre mondiale,  N°10, novembre 1986, Ministère de l'Education Nationale, Archives Générales du Royaume, Bruxelles; Bernard Delcord, «A propos de quelques "chapelles" politico-littéraires en Belgique (1919-1945)», in Cahier/Bijdragen, op. cit.; Jacques Willequet, La Belgique sous la botte: résistances et collaborations 1940-1945, Ed. Universitaires, Paris, 1986; Els De Bens, De Belgische dagbladpers onder Duitse censuur (1940-1944),  De Nederlandse Boekhandel, Anvers/Utrecht, 1973.      

Commentaires