DEUX LIVRES SUR L'IRAN


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DEUX LIVRES SUR L'IRAN

L’émergence de l’Iran moderne :

Touraj Atabaki, professeur à Utrecht et à Amsterdam, consacre un ouvrage à l’émergence de l’Iran moderne. Entre 1906 et 1909, l’Iran connait une crise politique qui débouche sur une “révolution constitutionnelle”, favorisée par les Britanniques et le parti pro-occidental des Cadets en Russie, mais regardée d’un mauvais œil par les forces conservatrices en Russie, qui voient la Perse se faire satelliser par la Grande-Bretagne. En Iran même, cette “révolution constitutionnelle” rassemble beaucoup d’adeptes dans les villes, mais rencontre une vive opposition dans les campagnes. Les peuples nomadisants se révoltent, précipitant le pays dans le chaos. L’Iran a failli se désintégrer et la première tentative de modernisation a débouché sur un échec. Les modernisateurs ont alors parié sur une personnalité charismatique et énergique, Reza Shah, qui rétablira l’ordre et entamera le processus de modernisation par une voie ferme et autoritaire. Cet ouvrage aborde donc une problématique récurrente dans les pays moins développés : la modernisation peut-elle s’effectuer par le biais d’une forme de démocratie qui n’a jamais fonctionné qu’en Europe et en Amérique du Nord? Plaquer les critères de cette forme de  démocratie sur une réalité qui ne l’a jamais connue est-elle une politique intelligente, exempte de toute volonté de satellisation? L’ouvrage historique d’Atabaki peut nous aider à répondre concrètement à cette question.

Touraj ATABAKI, Iran and the First World War. The Emergence of the Modern State, I. B. Tauris, London, à paraître en mai 2004, ISBN 1-86064-964-5, £35,00.
 
L’Iran de 1941 à 1953

Les douze années qui vont de 1941 à 1953 ont été cruciales dans l’histoire de l’Iran contemporain. Elles  commencent par la double  occupation britannique et soviétique, consécutive à la maîtrise par les alliés occidentaux du Proche- et du Moyen-Orient (campagne d’Irak en mai 41, campagne contre le Liban et la Syrie de Vichy en juin-juillet 41). La nécessité d’alimenter en armes et en munitions les arrières du front soviétique contre les armées allemandes rendait nécessaire l’occupation de l’Iran, de ses chemins de fer et de ses côtes sur la Caspienne. Reza Shah, le modernisateur de l’Iran, doit abdiquer en faveur de son fils (qui sera renversé par Khomeiny en 1978). L’ouvrage de Fakhreddin Azimi explore pour la première fois, de manière complète et scientifique, cette période de troubles ininterrompus, notamment parce qu’il utilise des documents iraniens, dont on n’a jamais fait l’exégèse en une langue occidentale. Le livre analyse aussi les péripéties du gouvernement nationaliste du Dr. Mossadegh, renversé par la CIA en 1953. Mossadegh avait réussi à obtenir une majorité parlementaire absolue pour nationaliser le pétrole iranien en 1951, qui, jusqu’alors, avait été aux mains des Britanniques. Les Américains seront l’instrument de la vengeance de Londres : John Forster Dulles craignait avant toute chose la neutralisation de l’Iran, assortie d’une bienveillance à l’endroit du grand voisin soviétique. Tels étaient ses arguments pour convaincre la CIA d’agir. Pourtant Mossadegh n’était nullement philo-communiste : il avait fait campagne pour éliminer toute présence soviétique dans le Nord de l’Iran, avait maté durement des manifestations communistes, avait mis son veto à la création d’une compagnie irano-soviétique du pétrole, qui risquait bien évidemment de faire passer le pays d’une domination britannique à une domination soviétique. En 1949, le parti communiste iranien, le « Tudeh », avait été interdit. Mossadegh n’avait jamais levé cette interdiction. Les rapports remis à la présidence américaine, pour la convaincre d’agir contre Mossadegh, avançaient l’argument que l’alliance entre nationalistes et communistes était imminente et que cette alliance allait profiter aux Soviétiques. Ils étaient pure invention. Cette période a donc été cruciale pour l’Iran, mais aussi pour toute l’histoire du monde. La révolution islamiste de 1978 est une conséquence directe, bien que lointaine, des événements de 1953. Son impact demeure capital aujourd’hui encore. Raison pour laquelle le livre de Fakhreddin Azimi doit être lu par tous ceux qui veulent comprendre les événements internationaux, sans accepter benoîtement le prêt-à-penser des médias.

Fakhreddin AZIMI, Iran : The Crisis of Democracy 1941-1953, I. B. Tauris, London, à paraître en mai 2004, ISBN 1-85043-093-4, £49,50.

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